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Par souci d’anonymat, aucun nom ainsi qu’aucun lieu ne seront cités.

Interview 1

En cours de réorientation. A fait l’académie des beaux-arts et une formation en dessin. Elle a également fait un an de Game Developer.

(...) J’étais dans un centre de formation essentiellement réservé aux femmes. Dans ma classe nous n'étions que des filles. Il y avait des profs masculins et féminins. Seule une classe parmi toutes les autres était mixte. Je l’ai vécu super bien, aucun sexisme, beaucoup d’entraide, que ce soit entre les filles ou vis-à-vis des profs. Mais oui, j’aimerais avoir davantage de professeures femmes. J’ai une appréhension à rentrer dans le milieu professionnel et pour tout te dire, actuellement, j’ai changé de voie. Mais j’ai adoré faire cette formation. Ça m'a permis de découvrir un autre monde.

(...) Je pense qu’il n’y a pas assez de modèles féminins dans le numérique, il devrait y en avoir plus! Je ne m’identifie pas à l’image de la femme relatée par les médias. Je ne pense pas que la mixité soit nécessaire ou non, je pense qu’il faut de tout pour faire un monde. Mais si vous laissez une bande de codeuses ensemble, elles vont tout autant bien s’en sortir qu’une bande de codeurs hommes, voilà tout.

Interview 2

A fait des études de réalisation et de code et de motion design 2D. Travaille actuellement dans le motion design 2D.

En 2014, Metoo n’avait pas encore éclaté. Enfin on savait un peu tout ça, mais on n’en parlait pas, il n’y avait pas de mots dessus. Je me souviens qu’en 2014, une fille de ma classe avait apporté un clitoris modélisé en 3D. C’était la première fois que j’ai vu, visuellement, à quoi ça ressemblait. C’est surtout que je me suis dit : “Ah mais c’est dans moi aussi”. En 2014 quoi… j’avais 19 ans ! Alors qu’on est censé être dans une époque où avec Internet, on est censé se poser des questions. Incroyable ! (...)

Dès le premier stage, dès que j’ai commencé à vouloir travailler, je ne suis toujours qu’avec des mecs. J’ai déjà travaillé avec des filles, qui étaient réalisatrices, scriptes, monteuses. Mais dans la technique, donc des filles derrière l’ordinateur qui font aussi de l’animation, pour le moment non. Je n’ai jamais travaillé avec, mais j’en ai rencontré. Il y a ce collectif “L’enroule” à Bruxelles, il y avait des filles, mais dans l’illustration et dans le print. (...)

Je me demande si le télétravail va changer tout ça. Avec le télétravail, tu n’es plus en face des personnes, le genre est encore plus flouté vu que tu ne vois même plus la personne. (...)

J’aime bien ne travailler qu’avec les garçons car je le prends un peu comme un challenge. En sachant que c’est un peu différent, ils ne vont pas pouvoir se permettre de faire des blagues méga lourdes et débiles. Je prends ça comme un challenge, je me dis: “Ok, tu dois intégrer l’équipe aussi bien voire mieux que d’autres mecs”. C’est de la performance et de la compétition, ce n’est pas très sain. C’est un moteur pour aller au-devant de mes peurs. (...)

Ce n'est pas lié à notre domaine, nous les filles, on apprend à devoir bien parler, être toujours active. Être perçue et interagir avec le social, là où les mecs, peuvent être très calme. Tout le monde va retenir qu’il est là et ce qu’il a dit. Alors que moi, j’ai l’impression de devoir faire des efforts dans tous les sens. Je vais essayer de donner un maximum alors que personne n’a rien demandé. (...)

J’ai fait deux écoles de cinéma qui sont dans les meilleures écoles francophones en Belgique. On était, en classe, souvent une majorité de filles. Et dans le milieu professionnel, elles ne sont plus là. Où est-ce qu'elles vont? Elles disparaissent, se transforment en neige, qu’est ce qu'elles deviennent ? (...)

J’essaye de plus en plus d’accéder à du contenu féministe et qui parle de l’identité de genre et de l’identité sexuelle. Pendant très longtemps, pour moi le féminisme c’était: “on est opprimées et il faut faire quelque chose pour que ce ne soit plus le cas”. C’est assez récemment que je me dis : “Oui il faut changer ça” mais les garçons aussi chient un max et on leur dit même pas qu’ils peuvent en être conscients (...) et il faut prendre soin aussi de l’idée de masculinité. Ce n’est pas un discours où j’ai été en contact rapidement. C’est très récent. (...)

Il y a eu ce boycott des bars avec mixité choisie (...) Ce débat des évènements avec mixité choisie. Au départ, je trouvais ça bête mais au final, c’est pas plus mal que de temps en temps, (...) que toutes les minorités puissent se rencontrer entre elles. En sachant que c’est des minorités et en ayant ça comme sujet en commun avec lequel il faut parler. Ça crée de la force. Ça veut dire : je ne suis pas toute seule. (...)

Ma maman a lancé sa société qui est une société d'événementiel qui faisait des tours culturels (...) On était dans une grande maison et les bureaux étaient au premier et au deuxième. (...) Jusqu’à mes 10 ans, j’avais 15 ordinateurs qui étaient libres le soir en haut et j’y allais assez souvent. D’abord pour chercher des images. (...) Puis petit à petit, j’ai découvert les sites de jeux. Puis je me suis dit: je peux faire des choses aussi. (...) J’aimais beaucoup savoir comment fonctionnaient les ordinateurs. Les circuits, etc. Je faisais pas mal de robotique quand j’étais petite. (...) Puis il y a eu l’adolescence (...) Un moment, tu ne trouves plus d’interlocuteurs avec qui en parler. À la cour de récré, les filles cool ce sont celles qui mettent déjà un peu des talons et un peu de maquillage, des trucs comme ça. Moi, j’étais avec mes bd de vulgarisation scientifiques, j’étais la nerd et je n'avais pas d’amis. C’était un peu lourd. (...) J’avais trouvé quelques amis pour parler de ça, mais ça n’était pas bien vu. On nous jetait des petites boulettes de papier. À cet âge- là, on a envie qu’on t’aime. (...) Du coup, tu dis au revoir à Marie Curie. Quand les garçons entrent en compte, c’est encore pire. (...)

J’adore tout ce qui est roman graphique et bd de vulgarisation. J’essaye de me faire une bibliothèque féminine. Soit ça parle d’autrices féminines, soit des autobiographies (...) Je viens de terminer l'autobiographie de Joséphine Baker qui est incroyable. Et aussi de Alice Guy (...) j’ai fait deux écoles de cinéma, à quel moment personne ne m’a parlé d’elle encore. Ce n’est pas possible ! Ça fait 400 heures d’histoire du cinéma en termes de cours et pas une seule fois on m’a parlé d’elle, c’est honteux ! (...) À la place on nous tape Méliès. C’est super ce qu’il a fait mais il n’y a pas que lui. (...)

Les représentations féminines c’est un drame ! Je te dis, elles disparaissent. Toutes les femmes disparaissent à 22 ans (...) les réseaux sociaux c’est cool pour ça. J’essaye d’échanger avec des filles. Je suis des gros studios et je vois souvent que, dans les gens crédités, c’est de moins en moins rare que ce soient des femmes. (...) Le travail de déconstruction, dire “je suis opprimée, c’est tous des bâtards", oui ok mais on ne va pas beaucoup avancer comme ça. Le travail de mettre des pensées, de créer une réflexion avec laquelle on se sent bien. Moi je n’aime pas être en colère (...) Il y a ce travail de réalisation mais en même temps (...) de préserver ma santé et mon harmonie (...) ça prend du temps. J'essaye d'être bienveillante. Ça prend du temps. (...)

Autant en motion, de temps en temps il y a des filles car ça se rapproche plus de l'illustration qui est pour le coup très féminin. (...) En 3D, c’est vrai que ce sont des licornes quoi, il y en a pas du tout. (...)

Les collectifs sont souvent adressés à quelque chose de créatif. Ce sont souvent des réalisatrices, ou des comédiennes, ou des scénaristes. C’est plus dans l’audiovisuel. On se rapproche de quelque chose de plus créatif ou littéraire. (...) La technique a un rôle plus important dans mon rapport à l’outil. (...) Dans ce rapport à l'outil, je ne le retrouve pas dans ces collectifs. (...)

Je conseille “le cœur sur la table”. Je suis méga fan de ces podcasts. Il y aussi Liv Strömquist, c’est une bédéiste suédoise et elle fait des bd (...) c’est très intéressant. Elle fait parler pleins de sociologues, de neurologues et d'anthropologues, pleins de scientifiques, sur le genre dans la société. (...) Comment est-ce qu’on agit en fonction de ce genre dans lequel on se reconnaît. Elle parle beaucoup de l’amour et du couple qui sont deux choses complètement différentes. (...) “Merci de ne pas toucher” qui est aussi super. Très cool créatrice. (...)

Pour la représentation des corps, j’ai eu un truc assez marrant. (...) J’étais sur le site H&M pour du shopping en ligne. Et je vois une robe qui a l’air très jolie. La mannequin qui la porte est une mannequin plus size et noire. Je ne suis pas plus size, ni noire. Je ne me reconnais pas du tout. (...) Cette robe a l’air canon, elle aussi, mais elle est tellement différente de moi que je ne vais pas acheter cette robe. Je ne sais pas si ça va m’aller (...) Je me suis dis : “En fait ce que tu viens de vivre, c’est ce que des milliers de femmes vivent tous les jours depuis qu’elles sont nées, dès qu’elles veulent faire du shopping en ligne, parce qu’elles sont sous-représentées. C’est hyper important qu’on ait des représentations de tout le monde !

Interview 3

A fait des études de code, de motion design 2D et de compositing. Travaille actuellement dans le motion design 2D et le compositing.

(...) J’ai déjà trouvé ça étrange, par exemple, que ce soit dans mes stages ou dans mes professeurs qu’on ait si peu de profs filles. À l’inverse, dans ma classe j’avais l’impression qu’on avait une bonne mixité. Je me suis déjà dit: “Est ce que c’est positif parce qu’on y arrive un peu plus ou est-ce que c’est négatif parce qu’elles finissent toutes par partir et du coup, peut-être que je ferais partie de celles-là". Je ne sais pas trop en quoi c’était logique qu’elles disparaissent. (...) Du coup, quand j’étais à l’école, je n’ai pas l’impression d’avoir eu des points négatifs par rapport à tout ça parce que ma classe était mixte. Juste par rapport à mes professeurs, on se demande un peu comment ça se fait. Mais je n'ai pas ressenti ça à l’école. Par exemple, à mon stage, je l’ai peut-être un peu plus ressenti parce que, quand j’ai fait mon stage en compositing, le groupe de compositing n’avait aucune fille. Donc quand je suis arrivée en petite stagiaire toute nouvelle là-bas, je me suis un peu demandée: “Qu’est- ce que je fais là ?” J’ai ressenti ce côté-là en arrivant dans le côté professionnel avec mon stage, que je n’avais pas encore ressenti à l’école. Ça m'a fait bizarre de ressentir ce petit choc entre les deux, cette différence. (...) Du côté de l’entreprise, ils ne me le faisaient pas ressentir, ce n’était pas quelque chose de négatif. Ils étaient bienveillants. Mais ils me disaient bien que ça faisait bizarre d’avoir un côté plus féminin dans leur équipe. (...) J’ai une amie qui a fait son stage là-bas aussi, puis qui a travaillé un mois là-bas. Ensuite elle a changé d’études. (...) C’était la dernière fois qu’ils avaient eu quelqu’un avant moi. (...) Ils ne m'en parlaient pas comme si c’était elle qui les avait marqués, mais plutôt comme la dernière fois qu’il y avait eu une petite jeune dans l’équipe avant moi.

(...) Il y avait une ou deux filles qui faisaient de l’animation, enfin, plus de l’illustration. (...) Mais en compositing et en 3D, il n’y avait aucune fille. Il y avait 4 filles sur toute la boite dont une qui était un peu plus en gestion et une autre qui était secrétaire. C’était un peu bizarre. (...) Au tout début, ça ne m’avait pas choqué. On sait qu’il y en pas beaucoup déjà de base mais, j’aurais apprécié y aller pour remonter un peu la chose. (...) J’ai une grande sœur qui n'est pas du tout dans les ordinateurs. J’ai eu une “Nintendo” et des jeux comme ça. J’avais donc un côté déjà un peu plus “geek”. Mais j’allais très souvent chez mon parrain, et lui, il a deux fils qui sont très très gamers. Quand j’allais chez eux, ils lâchaient pas forcément leur pc donc on jouait tous les trois. Je pense que c’est peut-être grâce à eux que j’ai été un peu dedans. (...)

Dans la boîte d’un ami, il y a de la 3D et du compositing, ils n’ont aucune fille. (...)

Pendant le cours d’histoire de l’art, on a vu pleins de courants différents. Les courants qu’on connaissait déjà un peu, c’étaient toujours les mêmes noms qu’on connaissait déjà. Ce sont les mêmes peintres: Banksy, Van Gogh. Ca pourrait être chouette d’aller un peu plus loin que ce qu’on sait déjà. (...) Quand je vois où mon ami travaille, parfois ils ont de l’humour mais beauf, mais vraiment de l’humour de mec. Et je me dis, je n’aurais jamais eu le courage d’aller travailler là-bas. Entre eux, tant qu’il n’y a personne, peut-être qu’ils se retiendraient plus s’il y avait une fille dans leur équipe. (...)

Pour le cinéma, vu qu’il y a le principe de “tu t'abonnes, tu reçois des contenus que tu aimes”, je reçois plus de contenu mixte donc je me sens plus concernée. Par contre, dans le jeu vidéo, c’est rare que je me sente concernée. Ou alors c’est écrit “waw un jeu vidéo que les filles pourraient apprécier” mais justement tu n’as pas envie quand tu vois ce type de contenu. (...)

Interview 4

Fait des études en informatique

(...) Pour parler de quand j’étais plus jeune, puisque la problématique vient de ce moment-là pour ce qui est de la diversité. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui n’étaient pas dans le trip de donner des jouets genrés. J’ai eu des poupées mais aussi pas mal de livres, des petites voitures, des dinosaures, etc. C’était assez diversifié. Très jeune je me suis intéressée à des trucs qui n’étaient pas spécialement pour les filles. J’ai joué aux échecs, aux insectes (...) À partir de là, et vu que mes parents n’étaient pas fermés, je me suis très vite distinguée d’une fille classique dans le schéma genré. J’ai toujours été un peu à part de ce côté-là. (...)

Dans les jeux vidéo, je n’ai pas tout de suite constaté de différences entre filles et garçons dans le jeu. Étant soi-même une femme, c’est dur de se dire que les gens changent de comportement quand ils sont avec toi puisqu’ils sont avec toi. À moins que quelqu’un de tiers te le dise ou que ce soit flagrant. Quand j’étais jeune, je le sentais un petit peu mais pas non plus tout le temps. Parfois, je devais dire “je suis une femme mon gars, arrête de me dire mec”. Là je voyais le changement de comportement, tout de suite ils sont plus doux, plus avenant, on te donne des trucs. Je n’ai jamais essayé d’en jouer. J’ai toujours préféré qu’on me traite comme un pote qu’autrement. J’ai déjà eu des cas où les mecs deviennent très lourds, même parfois insistants, voire pas net. Parfois, le changement de comportement était extrêmement flagrant. Où tu le sens limite baver derrière ton écran. (...)

En 2016, quand j’ai commencé, on était trois filles sur une classe de 20. (...) L’année après nous, il y avait une ou deux filles. Je sais qu’il y a une année où il n'y en avait pas du tout. Maintenant, il y en a une voire deux maximum. Au fur et à mesure qu’on grimpe dans les années du cursus, il y en a de moins en moins. (...)

Dans ma formation de développement en jeux vidéo qui existe depuis au moins 6 ans, j’étais la première femme. (...) Dans une de mes écoles, j’ai eu une femme professeure qui nous a donné les cours de base de données et de gestion de projet. Mais dans l’école où je suis actuellement, les seuls cours où j’ai des femmes sont des cours qui ne sont pas en lien avec l’informatique. C’est de la comptabilité, du droit et aussi organisation et management en entreprise. C’est tous des domaines où c’est des petits cours annexes. On n’a pas de profs femmes dans tout ce qui est informatique. (...)

Si quelqu’un m’inspire, je ne vais pas regarder si c’est un homme ou une femme. (...) Je n’ai pas forcément de modèles féminins. Il y a une femme qui a commencé avec moi la même année. (...) Elle m’inspire dans le sens où elle a fait du secrétariat avant, elle a écrit un livre, et maintenant elle se reconvertit dans l’informatique. Elle a été une source d’inspiration. J’ai eu une prof de 3D (...) qui a aussi été une source d’inspiration. (...) Elle a sorti un jeu sur Steam avec une petite équipe. C’est aussi une source d’inspiration mais plus pour la 3D. Je n’ai pas spécialement de modèles féminins en particulier, je me laisse inspirer par les gens qui font des choses qui m’inspirent.

(...) Pour ce qui est des films d’animations, ils ont tendance à vouloir de plus en plus montrer des personnages féminins forts et pas dépendants d’hommes. Ce que je trouve assez positif. Surtout pour l’influence chez les jeunes femmes qui vont pouvoir réaliser qu’il n’y a pas que des princesses en détresse. Là, je vois de l’évolution. Maintenant, dans les jeux vidéo, il y a quelques femmes qui deviennent des caractères un peu plus forts et principaux, mais je trouve que l’hyper sexualisation est encore très très présente. Même une femme super forte, super badass, elle va être sexualisée. De ce côté- là, c’est loin d'être significatif. Ça reste anecdotique.

(...) Il y a eu des cas de personnes noires qui n’ont pas été détectées par des IA. Je pense qu’il s’agit plus du côté technique qui entre en jeu. S'ils doivent faire un logiciel de détection faciale, ils ont certains pré-requis. Le client qui commande le logiciel va demander que le logiciel fonctionne d’une certaine manière. Le développeur va juste le faire fonctionner comme on le lui a demandé. Et donc en soi, si dans les pré-requis du logiciel, il n’y a pas de détection autre que la tête d’un homme blanc, le programmeur n’y peut rien. Celui qui a commandé le programme n’a pensé à personne, sauf à lui. Si un logiciel est programmé par une entreprise avec uniquement des hommes blancs. Puis c’est une autre entreprise avec de la diversité qui fait fonctionner le programme. Si le programme ne marche pas bien, ce n’est pas forcément malveillant à la base. Je vois plus le côté limitation technique. Il faut voir ce qu’il y a eu en amont. Tout dépend du but du programme, si on doit multiplier les détections. (...) Si à chaque fois qu’il faut détecter quelque chose de plus, il faut alimenter la base de données, ça peut devenir très lourd pour le programme. Il y a l’aspect limitation technique. (...) Il faut voir le cahier des charges du programme. Si dans le cahier des charges, ce n’est pas demandé, ils ne vont pas le faire. Il faut voir le client et voir pourquoi il a demandé ça, et pourquoi il l’a demandé comme ça. Et à ce moment-là, demander pourquoi il ne veut pas faire plus. Souvent c’est une question de budget. Ils vont faire le truc standard, donc souvent avec un homme blanc, à la limite femme blanche. (...)

Interview 5

Professeure en animation

Le domaine de l’animation est tellement neutre par rapport au genre. Ce n’est pas comme si on était des pompiers, là on pourrait encore dire que physiquement, si ou ça. Notre domaine est un domaine totalement égalitaire et pourtant ce n’est pas totalement le cas. Même à notre époque, c’est un peu étonnant que ce soit encore comme ça. (...) Là où j’ai fait mes études, je connais deux femmes qui ont fait des carrières assez impressionnantes au niveau de l’animation. (...) Une a animé pour des grands noms (...) C’est quelqu’un qui a fait une carrière que très peu de gens ont fait. Elle est passée de grands studios en grands studios. Elle a travaillé pour de grandes productions. (...) Une autre a travaillé pour tous les grands films de stop motion. Ce sont des femmes qui ont une grande renommée. Il y a peut-être une chose à tenir compte, les deux n’ont pas créé de famille. C’est peut-être quelque chose qui joue malgré tout dans la carrière des femmes, c’est qu’il y a des choix à faire. Pour le domaine de l’animation, c’est souvent un domaine où on voyage. (...) Il faut pouvoir s’absenter parfois pendant une année. Partir et aller ailleurs pour animer des choses. (...) Moi par contre, j’ai une famille. J’ai senti à un certain moment ce choix. À me dire si tu veux rentrer dans des choses intéressantes, des productions intéressantes, il ne faut pas avoir peur de voyager et voir ailleurs. (...) C’est difficile à combiner avec une petite famille. Je pense que le choix est moins compliqué, je ne sais pas, c’est peut-être aussi un préjugé mais j’allais dire que c’est moins compliqué pour les hommes. Je pense que dans certains pays, ça va être un des deux parents qui va accepter de rester dans la stabilité pour l’école et la famille. Mais ça tombe encore très souvent sur les femmes. Je connais aussi des hommes qui font ce choix-là mais ce n’est pas encore la généralité. C’est un choix difficile.

J’ai eu un jour la question d’un de mes étudiants. Une de mes étudiantes m’a dit : “Mon dieu le jury, c’est tous des messieurs, est ce qu’il n’y a pas de femmes ?”. Ça m'avait vraiment choqué. Ça m'a fait tilt. Pourtant, on a des anciennes étudiantes qui sont des talents. (...)

On a des stars de l’animation en Belgique. (...) Mais on ne va pas trop entendre parler d’elles. C’est vrai qu’on va les connaître dans le métier d’animation. C’est quand même des noms qui ont percé. Mais il y a quand même ce côté où il faut être doublement bon pour être remarqué. Malheureusement il y a de ça. (...) Il faut savoir qu’à l’époque, dans l’histoire de l’animation, mais c’est dans le contexte de l’époque, on disait que les femmes avaient les mains plus fines et qu’elles pouvaient mieux colorier. Et donc l’animation était réservée aux hommes, elles ne pouvaient pas animer. Elles faisaient le traçage, le coloriage. Il y avait des qualités, soit-disant féminines qui disaient qu’elles étaient plus précises dans le cleanage des lignes. (...) Et à l’époque une personne comme Milicent Patrick qui était une sorte de bombe créative, elle était vachement discriminée, et même contrée dans son élan. On vient quand même de cette époque-là et ça n’est pas il y a si longtemps que ça. Il y a quelque chose comme 60 ans, donc il y a du chemin à faire. (...)

Maintenant, je ne suis plus la seule professeure femme là où j’enseigne. Je suis très contente. J’ai des collègues hommes vraiment adorables, on s’entend super bien. Parmi les collègues, il y a vraiment un respect professionnel. Sauf que mon domaine est un peu moins technique. C’est un peu plus foufou. Parfois j’ai senti ce côté où je suis un peu la personne rigolote. Quand il s’agit des trucs un peu plus techniques, et j’avoue que je ne suis pas spécialiste donc je n’ai pas mis ça sur le compte que je suis une femme, mais des fois je me suis sentie moins prise au sérieux. Simplement par ce côté où je ne m'y connais pas en code ou en Maya. (...) Mais donc, elle est là pour les effets spéciaux. Elle représente le côté plus technique. Elle était toute contente que je sois là et moi j’étais toute contente qu’elle soit arrivée parce que mine de rien ça fait un équilibre. Je pense que je n’aimerais pas être dans une équipe avec que des femmes mais j’ai été pendant des années qu’avec des hommes. Il y a des studios où il y a un chouette équilibre. Je pense que ça fait du bien. (...)

Quand j’ai eu cette question qu’il n’y ait pas de femmes dans les jurys d’élèves, ça m’a fait une claque. Je n’avais pas fait tilt moi-même. Il y avait une femme ou deux, mais c’était souvent l’organisatrice de festivals, ce n’était pas quelqu’un du métier même. (...) Je pense que les gens ne le remarquent pas, c’est inconscient. (...) On ne fait peut-être pas assez de bruit, les filles ? (...) Quand je pense aux animatrices talentueuses que je connais, ce ne sont pas des tempéraments qui vont s’imposer. Ce sont des pros, mais ce n’est pas des gens qui vont se faire remarquer. Elles sont assez privées. (...)

Tout le monde connaît (noms d’animateurs masculins) en Belgique (...) Par contre, des animatrices que je connais qui ont fait des carrières internationales, elles, on ne connaît pas leur nom. (...) (Les animateurs masculins) ont créé leurs personnages, leur style. Donc on va les connaître. (...) C’est peut-être ça.

(...) Les filles vont peut-être être très professionnelles et vont se fondre dans quelque chose. Elles ne vont peut-être pas se faire remarquer. (...) Les entrepreneurs, par exemple, dans mes anciens étudiants, sont souvent des hommes. (...) Je pense que vous êtes d’une génération où, heureusement, ça n’est plus dans votre génétique. (...)

Je pense qu’on doit rester en alerte. Le fait que, parmi les collègues, on ne s’est pas dit “il faut qu’on engage une femme parce qu’il faut des femmes” c’est quelque part rassurant. Mais c’est vrai que ça fait presque 15 ans que j’étais seule, que je n’ai pas connu de collègue féminine. (...) Les mentalités des personnes qui partent en pension, qui disaient “les femmes sont compétentes mais une fois qu’elles ont des enfants elles disparaissent”. Ça c’est quelque chose que chez les jeunes personnes, je ne sens pas qu’elles vivent. Je ne sens pas spécialement chez les filles cette idée que la première priorité est de fonder une famille. Or que ça fait partie de ma génération. On est peut-être en train de voir la fin. Le fait que pendant 15 ans j’étais seule. C’est la fin de ce truc-là. (...) Contente qu’on ne s’est pas dit “Oh mon dieu il faut engager des femmes” mais qu’on ait une femme qui arrive simplement. (...)

Les écoles doivent être alertes. Il faut être alerte. Je regrette d’avoir fait tilt un peu tard. Pour les jurys par exemple. Que quelqu’un doive me poser la question, ça me choque. (...)

J’ai travaillé dans un autre domaine où j’ai senti cette différence: les femmes sont mieux là-dedans et les hommes dans autre chose. Je suis sensible à ça et ça m'a beaucoup énervée. (...) Ça n'était pas dans le numérique. Mais tu te sens casée, freinée, tu n’es pas bon dans ce que les gens supposent que tu devrais être bon. C’est ça le problème de genre, on stigmatise. On a commencé la conversation avec les pompiers mais il y a parfois simplement des natures de personnes qui sont simplement bon là-dedans malgré qu’il n’a pas la carrure, mais ils ont la mentalité. (...) Il faut penser à une nature féminine qui n’est pas attachée au genre. (...) Les hommes peuvent avoir des qualités féminines que certaines femmes n’ont pas. Si on arrive à moins stigmatiser et juste reconnaître les qualités, on est sur le bon chemin. (...) Ma génération, et celle de mes parents, ont dû se battre pour avoir le droit de vote. Ça ne fait pas si longtemps que ça. Dans ma génération, on avait droit à beaucoup de sexisme. J’avoue que moi-même, dans mes petits films, je nourrissais dans l’humour certains trucs. (...)

En classe j’ai montré comment un homme marche. (...) Ça fait depuis 4-5 ans que quand je passe cet extrait je me sens mal à l'aise parce que je trouve ça très stigmatisé. (...) Maintenant, je change mon récit quand je le montre. Maintenant, je dis une marche féminisée et une marche masculinisée. Parce que c’est vrai qu’il y a des femmes qui marchent plutôt “comme un homme”. Je pense que c’est des nuances. (...) Quand j’avais 20 ans, je me rappelle que c’était normal de voir des caricatures de femmes avec des gros seins. On est enfant de son époque. C’est en moi. C’est seulement plus tard que je me suis rendue compte que c’était un peu gros. C’est drôle une fois, mais à la longue c’est embêtant. Avec les générations, ça évolue. Je pense qu’on est dans la fin. On a des résidus qui sont encore fort embêtants. Tout ce qui se passe actuellement dans les nouvelles, où les femmes osent déclarer les comportements masculins, c’est très caractéristique pour l’époque dans laquelle on vit. (...)

Je pense que vous êtes une génération où vous êtes dans cette optique de changer les choses mais vous baignez encore dans des résidus et je pense que c’est bien de les pointer. Et en douceur, de les changer. Des fois, on ne prête plus attention à tout ça. Pour certains sujets il faut faire attention. MeToo et tout ça, il faut vraiment les exposer. Je suis convaincue de ça. (...) Je pense qu’il y a surtout le confort et les habitudes qui prolongent les choses. C’est confortable de rester dans une situation. (...)

Certaines animatrices sont des combattantes à force de tout faire. Une femme peut travailler double par rapport à certains hommes pour avoir la même reconnaissance. (...)

Si tu as des enfants, c’est difficile de t’isoler et de développer ton art. Ta vie est mise en pause pendant une dizaine d'années. Ça peut être inspirant, car les enfants sont très inspirants. (...) Mais il y a une pause dans ta carrière. En animation, si tu t’absentes pour une raison ou une autre pendant 5, 6 ou 10 ans, tu as un trou qui fait mal dans ta carrière. C’est peut-être aussi un point. On demande vraiment une sorte de continuité. (...) Si on n’est pas continuellement en train d’aller de grosses productions en grosses productions, on est écarté. (...) La technologie se développe incroyablement vite, après 5 ans tu es obsolète. Toute ta connaissance est obsolète et ça c’est terrible. (...) J’ai décidé que je n'enseignais pas de logiciel mais que j'enseignais les principes d’animation (...) Il faut aller vers la communication et le storytelling qui vont outre les outils. Les principes d’animation restent les mêmes qu’importe le logiciel. (...) J’essaye de donner des outils dans la tempête de changements qu’il y a tout le temps. Bientôt, ça va tellement basculer avec la réalité virtuelle. Ça vaut la peine de rester en maîtrise. Les choses automatiques c’est bien. Mais si moi je veux quelque chose de spécial, est-ce que je sais comment imposer ce que je veux? On va finir formaté sinon, on va tous faire la même chose. (...)

Il y a des références monstres dans l’animation mais qui sont des hommes d’une ancienne génération où ils sont baignés dans ce côté cliché. Les personnages féminins dans les Disney par exemple, comme Jessica Rabbit ou Betty Boop, c’est la féminité dans tous ses clichés. (...) Ça n'était pas malveillant mais c’était son expression. Il est repris encore très souvent comme référence dans l’animation. (...) Je ne sais pas si les hommes pensent autant. Si les hommes sont traversés avec des réflexions comme ça. Je ne sais pas. C'est peut-être ça le futur, dans quelques années, où les hommes vont se poser des questions par rapport à leur statut. Ça n’est pas encore le cas. (...) Je sais d’expériences et de témoignages que beaucoup d'hommes commencent à se battre pour le statut de la paternité parce qu’ils se sentent totalement exclus. Et ça c’est super ! (...) Ils se rendent compte qu’ils ratent quelque chose. (...)

Interview 6

Infographiste 2D/3D

Je n’ai techniquement pas grandi avec le numérique mais il y a toujours eu un ordinateur chez moi, même si ça ne m’intéressait pas, au début en tous cas! Petite, je préférais lire ou dessiner. Puis à l’adolescence, vers 14 ans, je me suis acheté mon premier ordinateur portable et un an après, ma première tablette graphique. Je n’ai plus décroché depuis! (...)

Durant mes études, je n’ai pas senti que le fait d’être une femme pouvait entrainer un traitement différent, négatif comme positif. (...)

J’ai fait face à du sexisme quelques fois avant de commencer mes études. Quand j’ai exprimé le fait de vouloir étudier l’infographie 3D, j’ai eu droit à des remarques comme “La 3D c’est pour le jeu vidéo, non? Du coup tu seras un peu la seule fille” ou “Il faut s’y connaitre en ordinateur tu sais”... Comme si ça changeait quelque chose! Alors oui, dans un premier temps je me suis demandée pourquoi le fait d’être une fille serait un obstacle à mon choix de faire de l’art 3D. Puis, je me suis vite rendue compte que ces remarques, faites par des hommes, étaient vides de sens et n’allaient certainement pas déterminer ce que je voulais faire dans mes études ou dans ma vie. (...)

J’ai toujours eu des modèles féminins dans mon entourage qui m’ont transmis la fierté d’être une femme quelque soit la situation. (...)

Je ne suis pas affiliée à des groupes féministes mais il y a bien sûr des femmes artistes que je trouve inspirantes: Mary Blair, Frida Kahlo, Loryn Brantz, Caroline Kjellberg (...)

Penses-tu qu’il y a assez de modèles féminins dans le numérique ?

Il y en a mais ce qui manque ce sont des modèles féminins connus, dans le sens qu’il y a peu de modèles féminins dans le numérique dont le nom est aussi connu que celui des hommes dans ce domaine. Elles ne possèdent pas le même statut de référence. (...)

T’identifies-tu à l’image de la femme diffusée par les médias (films, jeux vidéo, graphisme etc) ?

Non pas du tout! Mais ces dernières années, je tombe de plus en plus sur des œuvres qui célèbrent la femme pour la femme et plus forcément pour des attributs sexualisés à l’excès! (...)

Interview 7

Artiste 3D et VFX depuis 9 ans

(...) À 18 ans, j’ai comme tout le monde été confrontée au choix de mon avenir. J'étais dans une formation d'études générales. À ce moment-là, deux polarités s’exprimaient clairement. Un certain dilemme entre le choix d’une vie linéaire dans une profession “classique” dirons-nous. Mon cœur balançait entre des études scientifiques ou artistiques. Écouter la raison, ou les passions et prendre le risque de les vivre, quitte à avoir une situation moins stable. C’est la vision que j’avais du choix que j’avais à faire à l'époque. Je pense que j’avais une vision très arrêtée du monde adulte. J’avais peur de me faire chier, de finir rangée dans un métier ennuyeux. J’ai écouté les avis de quelques proches qui m’ont permis de me décider. Aussi, la Belgique a l’avantage d’offrir des formations à faible coût pour le domaine, ce qui est plutôt exceptionnel.

Comment est la parité / mixité dans ton école ?

Ça dépendait des options. Je dirais que globalement, on était dans une proportion de deux tiers d’hommes pour un tiers de femmes. Dans l’option jeux vidéo, la tendance était plus marquée. Je me souviens que ça a été un facteur qui m’a découragée à prendre cette option. J’ai toujours eu tendance à me rapprocher davantage des garçons que des filles dans ma vie. Cette tendance a continué aux études supérieures, et s’est même exacerbée. Je vivais dans une colocation avec deux garçons de mon école, et nos amis étaient quasi exclusivement des hommes. Cela n’a jamais posé problème. Seulement lors d’une soirée ou deux, ou les blagues ont pu tendre vers l’irrespect selon moi. Je préférais me tenir à l'écart dans ce cas. Mais ça a été très rare, et j’ai quasiment oublié notre différence de sexe à vrai dire. Il était facile de nouer des amitiés mixtes sans arrière-pensée.

Aimerais-tu avoir plus de modèles féminins dans ton cursus scolaire ?

Oui, très clairement. Je pense qu’on sous-estime la portée des modèles auxquels on peut s’identifier, et comment cela peut nous porter inconsciemment. C’est quelque chose qui m’a manqué, à moi, autant que ça manque de façon générale, je pense, pour les filles de tous âges. J’ai personnellement un profil particulier du point de vue de mon identité sexuelle. Je me suis assimilée à un homme de façon très inconsciente tout au long de ma vie. Et je pense que c’est en grande partie dû au manque de modèles féminins attrayants. Ceci m’a amené à me rabattre sur des modèles masculins, et à influencer mon comportement au plus profond de ma psychologie. Aussi, cela m’est arrivé de douter qu’une chose m'était accessible car il y a peu de femmes dans la profession. Je parle des FX par exemple. C’est un champ qui est assimilé à quelque chose de logique, mêlant connaissances informatiques, programmation, connaissances scientifiques et compétences artistiques. Ça peut être assimilé à quelque chose de plus masculin, puisque de façon emblématique, on pense souvent aux explosions ou aux destructions qui ont un caractère plus masculin. Les femmes ont toutefois entièrement leur place dans ce champ, et cela m’aurait aidé à prendre confiance en mes possibilités d’y accéder de savoir que des femmes en faisaient, et que je n’allais pas me retrouver exclusivement entourée d’hommes.

Je n’ai quasiment jamais travaillé avec des femmes. C’est une situation à laquelle je suis habituée, mais qui peut être inconfortable. À un moment ou à un autre, on peut se retrouver au milieu de blagues qui peuvent mettre mal à l'aise, et surtout demandent de savoir se positionner. Ça m’a deja provoqué des états de dilemme entre me faire entendre en tant que femme, laisser couler quitte à sembler faible, participer pour faire partie du groupe, ou tourner en dérision, quitte à paraitre désagréable. Ce qui n’est pas toujours simple. Encore aujourd’hui, je ne suis pas toujours à même de réagir à ce genre de situations.

As-tu l’impression de devoir faire plus, pour évoluer dans ton travail, qu’un collègue masculin ?

C’est quelque chose qui m’est déjà passé à l’esprit, que peut-être c'était un facteur. Mais c’est quelque chose de très compliqué à mesurer, ou à vérifier. J’essaye volontairement de ne pas m’accrocher à cette idée, pour ne pas développer de frustration par rapport à cela. (...) Il y a heureusement quelques femmes à de hauts postes qui prouvent que c’est possible. Ce qu’elles ont dû traverser pour y arriver, je n’en sais rien. Dans tous les cas, je pense que la tendance change, et qu’il ne tient qu'à nous de faire partie de ce changement et de le renforcer. À moins de faits réellement graves, je souhaite continuer ma route et progresser dans cette profession, de façon naturelle, sans me mettre davantage de pression qu’un homme devrait s’en mettre. (...)

J’observe une tendance à mettre des femmes au centre des récits héroïques, sur de grosses licences comme “horizon zero dawn”, qui me vient en tête. Très récemment je peux prendre la série Arcane également, où les femmes ont un rôle important. Elles sont même assez masculines pour certaines. Je pense à Vi, dont un des attributs est la force physique. C’est déjà un pas en avant. J’aspire à des modèles de femmes qui font leur choix de façon indépendante, et qui sont affranchies de ce que les hommes peuvent attendre d’elles. Pères, amants, même mentors. Qu’elles prennent leurs décisions sans leur influence. Le tout est de présenter des personnages nuancés. L’important est aussi de ne pas tomber dans l’idéalisation de la femme. Une femme est avant tout un être humain et possède tant de défauts que de qualités. Elle peut agir de façon égoïste, être courageuse ou peureuse selon l’instant. Elle peut être maline, ingénieuse, drôle aussi, et avoir de l’esprit. Ce sont des traits qui, à mon sens, sont encore trop réservés aux hommes dans les fictions.

Penses-tu que la mixité est nécessaire dans le numérique ? As-tu un avis sur les quotas et les événements non mixtes ?

Je pense qu’elle l’est, comme dans tout autre domaine. Cela apporte de la diversité, et ça comble le trou qui peut parfois séparer hommes et femmes. Que les deux sexes soient présents de façon égale dans une profession, cela favorise le fait de travailler avant tout entre êtres humains, avant de travailler “avec des hommes” ou “avec des femmes”.

Interview 8

Graphiste et motion designer

On a un ordinateur à la maison depuis avant ma naissance et on a eu l’adsl très tôt, donc j’ai très vite utilisé internet pour l’école mais j’allais aussi beaucoup sur les chat, les forums et les sites de jeux flash. J’ai eu un ordinateur personnel à mes 18 ans (avant c’était l’ordinateur familial) et un smartphone à 25 ans. (...) Je ne visais pas le numérique spécialement, j’ai commencé par faire des études de graphisme print avant d’aller étudier l'animation. Je travaille dans le numérique principalement parce que le motion design est numérique. (...)

Dans mon école de graphisme, c’était paritaire, même dans les profs. Dans mon école de motion design, il y avait un peu plus de garçons et peu de professeurs femmes. (...)

J’ai commencé à m'intéresser au féminisme seulement vers la vingtaine, donc je sais qu’il y a beaucoup de choses que j’ai laissé passer en pensant que c’était normal aussi. (...)

Comment est la mixité sur ton lieu de travail ?

Plutôt bonne. Quand on a fait remarquer à mon chef direct qu’il n’y avait pratiquement que des hommes engagés, il a commencé à y faire attention et à prendre plus de femmes (on a un gros turn over dû aux pigistes, on engage souvent de nouvelles personnes). Il y aussi pas mal de femmes dans des hauts postes.

As-tu l’impression de devoir faire plus, pour évoluer dans ton travail, qu’un collègue masculin ?

Oui, c’est un sentiment diffus, personne ne me l’a jamais dit en face, mais depuis toujours j’ai vu des garçons et des hommes qui faisaient moins bien que moi avoir plus de reconnaissance.

As-tu déjà dû faire face à du sexisme, des stéréotypes pendant ton travail ?

Oui, surtout envers mes collègues femmes où on (des réalisateurs et des journalistes) me demande plus souvent si elles seront capables d’effectuer telles ou telles tâches. J’ai un exemple en tête qui est assez frappant: un an ou 2 après mon arrivée comme freelance, un ami avec qui j’étais en classe est arrivé dans le même service que moi. Tout le monde le savait, on ne m’a jamais rien demandé. Puis encore un an après, une amie de cette même classe est arrivée dans notre services et tout le monde était aussi au courant de notre amitié. On est venus 3-4 fois me demander si elle était capable de faire le graphisme pour telle ou telle émission.

As-tu des artistes femmes que tu as envie de partager ?

Je fais partie de groupes, mais pas exclusivement féminin, ça me plairait. Je connais surtout des dessinatrices de bande-dessinée: Cy, Marion Malle, Tarlasz, Aude Picaut, Gaëlle Geniller, etc. (...)

As-tu un avis sur les quotas et les événements non mixtes ?

Je pense que la mixité est nécessaire partout. Pour les quotas, si on vivait dans un monde sans minorités, je serais contre, en l’état actuel des choses, je suis plutôt pour, même si je préfère évidemment qu’ils viennent des personnes elles-même et que ce soit pas imposé. (...)

Personnellement, j’essaye de partager et consommer des contenus créer en priorité par des femmes, histoire d’essayer d’équilibrer la balance. Je me suis rendu compte qu’au final, même sans y faire attention, j’apprécie plus les œuvres faites par des femmes, j’ai plus facile à m’y identifier.

Interview 9

A fait une école de graphisme (print) et un master en direction artistique digital (site web, UI/UX design, code, motion design

En ce moment, là où je travaille. (...) C’est des gens adorables, des crèmes avec qui j’adore bosser. Ce sont des gens très bienveillants et très gentils. Je m’estime très chanceuse là-dessus. (...) C’est des personnes avec qui on peut vraiment discuter. J'ai ma place et j'ai ma voie en tant qu'individu dans ces équipes. C'est à dire que si j'ai mon mot à dire, on va m'écouter, on va prendre en compte mon expertise. (...)

Ce n'est pas vraiment l’entourage qui m’a amenée dans le numérique. Je n'ai pas de parents informaticiens. J’ai quelques potes geeks, mais pas plus que ça. Je me suis surtout dit que c'était un métier d'avenir, alors que l’édition ou le print, c’est des milieux où ça vieillit. (...) J'aime bien le côté où tu interagis avec les gens. Le dessin, c’est ma passion à la base et c'est ça qui m'a menée au graphisme. Du coup, je dessine pour partager. (...) Avec le web design, tu peux interagir, tu peux dialoguer en quelque sorte avec les gens. (...)

Dans mon école de graphisme, qui était une école privée, c’était vraiment 50/50. Moitié filles, moitié garçons. C’était très mixte. (...) J’ai ensuite fait un master en digital et c’était trop cool ! Il y avait des gens très inspirants et bienveillants. (...)

Ensuite, j’ai fait mon premier stage en agence. (...) Ce qui est intéressant, c’est qu’on va te pousser, on va vite te donner des responsabilités. (...) Ils vont regarder tes capacités et ce que tu fais. En fait, on va te regarder en tant que créatif. Et du coup, comme tu as cette étiquette de créatif, on va moins regarder ton genre, on va regarder ce que tu sais faire. (...) Ils m’ont fait confiance, ils étaient encourageants. (...)

Maintenant, je bosse beaucoup avec des filles, parce que les commerciales, ainsi que les directeurs associés, ce sont beaucoup des femmes. Ce qui est intéressant dans la division du métier à noter, c’est que toutes les meufs sont commerciales. (...) Par contre, parmi les créatifs, les créatifs, un peu star, etc. Bah tu as que des mecs. (...) Aussi les trafics, donc ceux qui organisent les réunions par exemple. Ben les trafics c’est que des femmes. En fait, l’ambiance, ce sont un peu les femmes qui prennent soin des mecs. (...) Elles vont apporter une petite bière aux garçons, etc. En gros, c'est vraiment le cliché des filles au soin des mecs. (...) Elles vont apporter de la nourriture presque comme une servante. (...) Les teams qui sont stars, qui ont gagné des Lions d'Or ou des prix à Cannes, sont vraiment chouchoutés.

Puis il y a les directeurs de création, eux, ce sont les mâles alpha. C’est eux qui vont porter les idées. Ils ont souvent la trentaine/quarantaine et sont, souvent, tous blancs. Ils sont très gentils mais tu as un côté où tout le monde est aux petits soins et autour d’eux. (...) J'ai peur d'être confronté à un plafond de verre dans le sens où, quand tu es une femme, c'est compliqué de se faire entendre. Il faut vraiment avoir un fort caractère, savoir bien parler, il faut avoir le sens de la politique. Une femme doit fournir deux fois plus d'efforts qu’ un homme. Il y a donc les femmes qui sont des commerciales et qui portent les idées des hommes. C’est des femmes qui sont fortes mais qui sont quand même assez épuisées, elles gèrent leur poste de directrice associée mais aussi leur famille. (...) J'atteins un plafond de verre. Tu arrives à un stade ou, en fait, ce sont les espèces du groupe d’hommes alpha, que tout le monde va écouter, et toi tu vas être un peu la petite voix et qui n'arrive pas à se faire entendre. Et c'est vrai que, quand tu regardes les filles qui ont mon âge, elles sont à des petits postes de directrice artistique : du social media, des petites éditions. Les trucs qui vont intéresser le client, les grosses directions artistiques, les grosses pubs qui demandent une sorte d'émulation créative, là, ça va être, pour les teams de mâles alpha de 40 ans (...) Je connais une Web Designeuse qui est très talentueuse. Elle sait faire plein de trucs. Elle a fait les gobelins, tu vois super forte. Elle fait un travail d'orfèvre sur ces webdesign mais … dans son coin. Elle n'a pas de responsabilité. Toutes les meufs qui font des trucs très bien, très minutieux, elles font ça dans leur coin. On leur file des missions dans leur coin, mais sans les mettre sur les trucs où il y a le pouvoir, où il y a de l'argent, où il y a les enjeux. (...)

Il y a des mécanismes qui sont tellement ancrés dans la société, qui sont inconscients. C'est difficile de prendre du recul, et surtout, quand le taf nous aliène. En fait, les gens sont aliénés, ils travaillent tout le temps, ils ne vont pas réfléchir à tout ça. Du coup, ils vont avec leurs réflexes qu'on leur a inculqués. Ça devient des réflexes. Quand tu bosses comme un fou, quand tu as vraiment des horaires pas possibles, de la pression, du temps, etc. Ils n'ont pas le temps de se dire: “je vais changer mon habitude”. Ils sont en mode survie sur leurs propres tâches. (...) Un jour, je me suis retrouvée sur un gros projet où je me suis occupée de toute la direction artistique. Mais en fait, le commercial ne m'écoutait pas quand je parlais. Il fallait que des mecs valident mon propos pour qu'ils puissent entendre ce que je dis. Ça a été un peu dur à vivre. (...) Les autres gars m’ont défendue, mais je n'ai pas pu m'empêcher de me sentir humiliée. Je n’aimais pas me sentir comme la personne qu’il faut défendre. (...)

Dans les agences, il y a ce côté très sexualisé. Il y a beaucoup de séduction. La nouveauté qui arrive, ce sont les hommes qui sont au pouvoir, qui sont mariés, qui ont des enfants et … qui viennent te draguer. Tu as des regards, cette ambiance bizarre. Un de ces mecs qui avait presque 50 ans est déjà venu m’embrasser ! (...) C’est arrivé à nouveau plus tard avec un vieux de presque 60.

Est-ce que ma personne, mon intégrité, mes valeurs, etc. Les intéressent? Est-ce qu'il y a vraiment un partage ? Est-ce qu'il y a une relation parce que j'ai un capital sexuel et ils me regardent juste pour le capital sexuel et l'enveloppe que j'ai ? Ça te met une pression. Si un jour j’arrive pas maquillée, un peu fatiguée, est ce qu’ils vont me parler ? Tu as cette charge mentale que les gars n’ont pas. (...)

Tu as cette ambivalence, ce côté sexuel, ce “male gaze” qui est très présent. Où tu te sens comme un bout de chair. (...) Tous ces rapports de séduction que tu dois gérer, tu ne dois pas blesser les egos. (...) Certains ont même du pouvoir sur toi, ils peuvent te virer. Ils ont un peu un droit de vie ou de mort financière sur ta personne. (...) Ils ont une décision sur une partie de ton avenir. Pour eux, il y a beaucoup moins de conséquences. Il y a beaucoup moins de pression. Du coup, pour la femme, si ça merde, si la personne décide que ça se passe mal, il peut te virer. Et ça peut être traumatisant.

Voilà mon rapport qui est nuancé. C'est qu'il y a des trucs très positifs. On va vraiment t’encourager, te pousser à avoir confiance en toi, à oser, à affirmer, etc. Mais malgré tout, on vit dans une société avec des mécanismes pervers. (...) J’ai déjà eu des problèmes d’insomnie et des crises d’angoisse à cause de toutes ces histoires. (...) Dans le milieu de la pub et du digital, tu as ce côté où tu es vue comme un attribut de pouvoir au détriment de ton individualité et du fait que tu sois compétente. (...)

Ces rapports un peu étranges avec des gens de pouvoir, et du coup, tu ne sais pas comment te positionner. On te voit pour tes compétences ou pour ta spécificité, mais en même temps, c'est encore cette chape qui est présente.

Je pense que les femmes doivent fournir quand même deux fois plus d'efforts pour se faire entendre. Un ami est arrivé dans une agence et le patron l’a pris sous son aile. On fait le même métier, mais je sais que j’ai plus de compétences, car je fais ce métier depuis plus longtemps. Je sais qu’il va rarement y avoir un mec qui va me prendre sous son aile. Ce truc de transmission masculine. Les mecs ont cette facilité-là. (...) Avec un genre similaire, ça va être plus facile. Tu vas prendre quelqu'un sous ton aile parce que tu vas te reconnaître en lui quand tu étais plus jeune. Du coup, comme ce sont les mecs au pouvoir, c’est un cercle infini avec ce système de transmission. (...)

Beaucoup de meufs font leur travail dans leur coin, elles lâchent l’affaire, en ont marre de se battre. Elles sont ultra compétentes mais ne veulent pas se battre, ne veulent pas se sentir humiliées parce qu’on coupe leur parole ou que leur voix ne porte pas plus qu’un mec. (...)

Dans l'histoire, par exemple, on a beaucoup de mythes sociétaux où l'artiste, c'est un mec qui est un peu surdoué, mais un peu en retrait dans son monde. (...) Il y a de plus en plus souvent des héroïnes féminines, mais qui sont ultra sexualisées, qui reprennent les codes masculins. (...) En ce moment, je suis à fond sur ”La fin de l'amour” de Eva Illouz. (...)

Je l'avoue, je l'ai un peu intériorisé, mais j’ai l’impression qu’un écrivain homme ça va plus m'intéresser, ça va être plus intéressant. J’ai l’impression que ça va être plus intéressant vu que tous les chefs d'œuvres sont écrits par des hommes. Je vais inconsciemment porter plus de crédits à un homme. J'ai intériorisé ça depuis que je suis petite. Je me dis qu’une femme ça va être plus gnangnan, moins intéressant, plus volage. (...) Par rapport à la musique, socialement, tu vas mieux paraître si tu dis que tu écoutes un truc d’un mec plutôt qu’une meuf. (...) Quand j’écoute des médias sur Youtube, réalisés par une femme, je vais passer pour quelqu'un de futile qui écoute des trucs futiles parce que c’est une meuf. (...) C’est intériorisé. (...) Il faut déconstruire le mythe du génie, de l’artiste ou du technicien un peu autiste, mais surdoué, qui va être renfermé sur lui-même. (...) Du coup, les mecs techniciens ont moins d'efforts sociaux à faire parce qu'on va dire: “Ouais, mais il est hyper doué, c’est un artiste”. Si t’es une meuf, on va moins t’excuser. (...) On se met des œillères face aux problèmes qui sont douloureux. Quand tu te rends compte des choses, ça te fait un effet désagréable que t'as envie d'éviter. (...)

Ce qui est compliqué avec les endroits non-mixtes, c’est que tu n’as pas envie de créer des clivages mais en même temps c’est une “safe place”. (...) Dans le milieu du travail, les femmes s’isolent entre elles. Il n'y a pas de gros groupes de meufs en comparaison aux mecs. C’est compliqué de se faire des amies filles. Elles s’isolent peut-être pour ne pas avoir à faire à ces rapports de mec. Elles ne sont pas dans les endroits avec des relations de pouvoir parce qu’elles savent que c’est hostile. Elles se disent: “Je fais mon travail dans mon coin et je ne me pose pas ces questions, je veux pas me les poser”. (...)

Elles sont isolées et c'est une forme de division pour mieux régner. Il n'y a pas de bandes de femmes. Les mecs, si. La solution, c’est peut-être de créer du lien entre les femmes. Des espaces pour elles. Créer des “safes places” pour que les femmes puissent se connecter et se parler des sujets, mais en étant ultra à l'aise et en sécurité. Et ça permettra de créer de la cohésion. Les femmes au pouvoir, elles s'isolent aussi. Elles sont seules face à plein de gros mâles avec lesquels elles doivent lutter et faire trois fois plus d’efforts. Elles sont fatiguées et n’ont plus la force. Après, elles vont voir les autres femmes comme des concurrentes. Elles vont se dire : je suis privilégiée de ce poste parce que je suis la seule femme. Une sorte de syndrôme de l’imposteur. Beaucoup adoptent aussi des codes de mecs pour intégrer ce clan de mecs. (...)